LORSQU’UN TABLEAU RÉAPPARAIT
Le pinceau et la plume – Chapitre 1

N’ importe quel amateur de peinture tombant sur ce tableau est frappé par sa qualité. Après l’avoir scruté, tourné et retourné, il cherche instinctivement la signature. Et il faut bien la chercher car, appliquée avec un pinceau très fin, en sombre sur un fond presque aussi sombre, un peu effacée, elle est difficile à détecter.
Elle s’impose ensuite très vite, car après un examen à la loupe, on voit bien que les craquelures de la peinture coupent naturellement celle-ci de parts en parts. Aux ultraviolets de la lampe de Wood, aucune réaction luminescente, inertie totale : donc elle est d’origine.
P. Cézanne ? L’affaire se corse. Evidemment ce diable d’homme a produit dans sa jeunesse de véritables énigmes en matière de tableaux. La datation au dos de la toile, 69, est cohérente, et permet de deviner la même devant la signature. Et la manière est totalement hors normes, tellement qu’elle pourrait bien lui appartenir.
Mais soyons prudents. ..
Donc, datée 691, puis signée P. Cézanne, cette huile sur toile2, support et châssis d’origine, empoigne le spectateur au premier coup d’œil. Son équilibre de composition autant que la violence de la scène, son chromatisme puissant autant que son aspect ténébreux, l’émotion intense que le pinceau du peintre transmet, tout porte à chercher ce que cache cette scène mystérieuse et paroxystique.
Pour l’exposition consacrée aux œuvres de jeunesse de Cézanne en 1988-89, Marie-Louise Krumrine a cherché à comprendre le sujet d’un tableau célèbre, habituellement daté de 1870 ou 71, « Le déjeuner sur l’herbe », après avoir passé en revue d’autres œuvres de cette époque énigmatique. Derrière son calme apparent lui semblait s’y cacher une lourde menace et le décryptage du rébus des personnages révèle une étape de la vie de Cézanne d’où la fascination que produit cette œuvre si simple et si complexe.
Le dépouillement extrême de cette œuvre est souvent pris pour une maladresse du peintre. Elle n’ en est surement pas une . Elle fut suivie vers 1875, d’une deuxième version. Curieusement, tout s’ y normalise : les frondaisons retrouvent leur volume et prennent vie, l’ attitude des personnages est en rapport avec le sujet ; le pique – nique sur la nappe est normalement étoffé : aucune question ne se pose . C’ est tout simplement la fin d’ un déjeuner sur l’ herbe tel que Zola proposait a son ami de peindre , prenant modèle sur leurs propres parties de campagne .
Le contraste est saisissant . Connaissant Cézanne, si le premier « déjeuner » lui avait déplu, il l’ aurait détruit, ; ce n’ est pas le cas, alors ? Alors , tout simplement ; il l’ a voulu ainsi et y attachait une signification personnelle, que nous avons du mal a saisir, a cause de l’ austérité du résultat.
Notre œuvre, elle, est antérieure. Le contraste de la violence de la scène largement exprimée, est frappant. La facture adoptée par le peintre, aussi savante que dans la copie de « la barque de Dante par Delacroix, est elle aussi déstabilisante . Mais alors, de quoi s’agit-il ? Que représente-t-elle ?

La composition

Le schéma d’ensemble reprend la composition de la célèbre « Mort de Sardanapale » d’Eugène Delacroix, d’après la pièce de Byron (1828). Les intentions de l’auteur étaient claires : frapper le spectateur. Ce thème, issu d’une légende semi-historique, de la perte de pouvoir de Sardanapale ainsi poussé au suicide en s’immolant par le feu après avoir supprimé tout ce qui avait constitué sa propre vie est devenu un grand thème romantique. Il a également inspiré Berlioz au début de sa carrière en 1830 pour une Cantate qui fut récompensée par le prix de Rome; En 1869 à la mort du musicien on tente de la produire sur scène mais l’incendie ou doit mourir le roi pose scéniquement trop de difficultés et le projet finit par être abandonné.
L’œuvre de Delacroix est désormais célèbre; mais encore en collection privée elle n’est pas encore rentrée au musée du Louvre3. Cependant nombre de gravures la représente et l’œuvre est largement diffusée en noir et blanc. L’inspiration de Cézanne semble plutôt venir de la petite esquisse peinte parue à l’exposition avant la vente posthume des œuvres de l’atelier de Delacroix en 1864, et jamais montrée4. Le coin de ciel bleu en haut à droite de notre œuvre en est directement inspiré. Il n’existe ni dans le grand tableau définitif ni dans ses répétitions diverses par Delacroix.
Cette célèbre composition en biais qui caractérise l’œuvre de Delacroix est reproduite par Cézanne Elle représente aussi un homme couché cerné d’objets familiers et de personnages de sa vie privée. Mais là s’arrête la comparaison car ces personnages sortent tout droit de la vie de Cézanne, pas du tableau de Delacroix.
A ce stade, impossible de parler de la jeunesse de Cézanne sans parler de Zola. Il a fallu me pencher en profondeur sur lui, sa nature d’homme, ses échanges de courriers et sur ce que son œuvre nous révèle de sa jeunesse, courant le pays aixois en compagnie de Cézanne.
L’amitié profonde qui les unissait est bien connue, mais peu d’historiens ont pénétrés l’essence du lien entre l’œuvre de jeunesse de l’un et de l’autre. Pourtant l’une n’est pas explicable sans l’autre. L’amitié fusionnelle des deux adolescents et la qualification ambiguë qu’en fait Zola lui-même dans la dédicace de « Mon Salon » en 1866 est incontournable : « Aujourd’hui, au jour du début, nous avons foi en nous parce que nous avons pénétré nos cœurs et nos chairs ».
L’expression pourrait paraître seulement imagée, si Zola, qui ne manquait pas de vocabulaire, ne l’avait reprise peu de temps après, mot pour mot, dans « Madeleine Férat », la replaçant nettement sur un mode sexuel : « C’était une pénétration complète de chair et de cœur. » (chapitre 6 , à propos de l’ union de Madeleine et Guillaume ) ; et le 7 Septembre 69 , dans ses commentaires d’ un livre de Marc de Montifaut sur Marie- Madeleine , il admet comme l’ auteur que « l’ hétaïre juive a été l’ amante de Jésus » et « qu’elle trouvait a contenter en lui chair et cœur »
Cette phrase a ainsi laissé perplexes les historiens de l’art du siècle dernier qui tout en la relevant, n’ont pas voulu approfondir dans leurs études cet angle psychologique, pudiquement révélé par petites touches jusqu’à la fin des années 1980. Au XXIème siècle, la psychologie avec les modes d’action de l’inconscient permettent de franchir un pas supplémentaire dans la connaissance de l’artiste Cézanne. Le tableau dont nous parlons aujourd’hui en est un maillon oublié. Les « Tentations de saint Antoine «, et « L’apothéose de la femme », entre autres, ne reflètent qu’une partie du mal- être de l’adolescent attardé qu’est Cézanne lorsqu’il arrive à Paris, dûment convaincu par Zola de l’y rejoindre. Dans la libre adolescence de ces amis provençaux, a côté des fantasmes de conquêtes féminines, il a pu exister entre eux quelques pulsions charnelles ; ce qui a cet âge est relativement courant , mais largement proscrit en cette fin du 19e.
Le sujet
Le premier ouvrage que fait paraître Zola est « Contes à Ninon », commencés d’écrire en 1860, et dédicacés d’octobre 1864, peu avant la parution chez Hertzel et Lacroix ; Cézanne présent à Paris ne peut pas ne pas les connaître : en 1864 il demeure chez Zola qui les lui a lu.
La dédicace à une « Ninon » imaginaire qui l’aurait accompagné dans ses escapades provençales, semble aussi adressée à Cézanne, dans la lignée des énigmes échangées entre eux.. Zola fit un exercice similaire pour « Les mystères de Marseille « en 1867, annonçant l’auteur comme « une jeune provençale ». L’identité réelle de l’auteur, la sienne, ne sera révélée que six semaines plus tard. En tout cas, de l’image de cette dédicace , surgit le sujet du tableau « L’enlèvement » (1867) offert à Zola.
« Les voici donc, mon amie, ces libres récits de notre jeune âge, que je t’ai compté dans les campagnes de ma chère Provence et que tu écoutais d’une oreille attentive … Chaque matin, mon amie, je me sens des besoins nouveaux de te remercier des jours d’autrefois … C’est alors que voyant que tu te mourrais en moi que j’allais au bord de la rivière dans la campagne moribonde te donner mes baisers de départ; oh l’amoureuse et triste soirée ! Je te baisai ma blanche mourante, j’essayais une dernière fois de te rendre la vie puissante des beaux jours … Tu montais en moi plus haut que le cœur et tu ne fus plus qu’un souvenir … Voici bientôt sept ans que je t’ai quittée, je vais reprendre un à un les contes de nos amours. »5

Avec cet « Enlèvement » Cézanne commence à répondre aux rêves du futur écrivain dans sa lettre du 25 Mars 1860 au futur peintre : « J’ai fait un rêve. L’autre jour, j’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. »
L’avant dernière nouvelle intitulée « Du sang » vient secouer l’édifice de rêveries plus ou moins enfantines de cet ouvrage. La nouvelle en question est particulièrement violente et elle contient en ferment le cadre des deux scènes de crime de Cézanne : « La femme étranglée » (R247) et l’aquarelle « Le meurtre » 6: deux œuvres qui illustrent bien les passages suivants, ou on voit le narrateur évoluer dans un lieu de cauchemar et va de crimes de guerre en crime biblique :
« Dans une lumière qui n’est pas le jour mais éclaire les ténèbres sans dissiper les horreurs muettes…, j’ai vu que les dalles étaient noires. Mes pieds glissèrent et j’ai reconnu qu’elles étaient noires de sang…. »
Puis il continue son chemin…
« Pas un feuillage, pas une mousse; des roches désolées, la tête blanchie par le soleil, les pieds ténébreux et mangés par l’ombre. Le chemin passait au milieu de ces roches dans un silence de mort. Enfin il fit un brusque détour, et je me trouvais dans un site funèbre… Quatre montagnes s’appuyant lourdement les unes sur les autres, formaient un immense bassin. Leurs flancs, roides et unis, qui s’élevaient, pareils aux murs d’une ville cyclopéenne, faisaient de l’enceinte un puits gigantesque dont la largeur emplissait l’horizon…. »
On reconnait sans difficultés le lieu de l’aquarelle « Le meurtre ».
« …Ici, des pères immolent leurs filles dont ils avaient promis le sang à quelque dieu monstrueux. Les blondes têtes se penchaient sous le couteau, pâlissantes au baiser de la mort…. »
Légèrement modifiée par Cézanne, on retrouve la scène d’assassinat, devenue un «étranglement» dans une grotte aux rochers couverts de sang.


Les deux amis partageaient donc bien leur univers de rêve mais aussi de violence.
Ce conte, se termine avec une description de la « Montée au Calvaire » et de la « Crucifixion » tout aussi sanglante dans chaque détail , hallucinatoire et très iconoclaste par sa chute, prononcée par une petite fauvette : «.. va, va, ce n’est qu’un meurtre de plus …» où Zola manifeste son irrévérence pour la religion catholique.
Le dernier conte, le plus long, est intitulé « Les aventures du grand Sidoine et du petit Médéric ». Il est aussi le dernier composé en 1863- 64, juste avant la parution de l’ouvrage .Au premier chapitre l’auteur définit ses « héros » ainsi :
« hé hé bonnes gens, ne voyez-vous pas ce dont il s’agit ? Rien n’est plus simple, il s’est fait un échange entre les marmots. Quand ils étaient au berceau, alors qu’ils avaient la peau tendre et le crâne de peu d’épaisseur, Sidoine a pris le corps de Médéric, et Médéric, l’esprit de Sidoine; de sorte que l’un a cru en jambes et en bras, tandis que l’autre croissait en intelligence. De là leur amitié. Ils sont un même être en deux être différents … définition des amis parfaits. »
Nous voilà donc éclairés explicitement sur le mélange de leurs vies. Puis la nouvelle nous raconte l’errance de ces deux « héros », qui ne font qu’un, l’un grand et fort se servant surtout de ses poings, a la recherche du « Royaume des Heureux ». Ils y rencontrent la reine « Primevère » qui tentait d’empêcher les êtres vivants (insectes, animaux, humains) de s’entretuer; ce qui les conduit à une mort certaine car ils ne peuvent plus se nourrir, leur salut les reconduisant à la loi de nature. A la fin elle tombe (c’est son destin) amoureuse de Médéric qu’elle doit épouser. Le pauvre roi Sidoine, désespéré du pouvoir perdu de ses poings s’écroule au sol devant eux enlacés :
« Sidoine renversé à demi, honteux et désespéré, cachait ses poings » …
… « Dans le premier rayon Médéric et Primevère apparurent enlacés, immobiles; tandis qu’à leurs pieds gisait Sidoine éclairé par de larges pans de lumière ».
Juste avant ce premier bref passage, Sidoine raisonné par Médéric constate avec effroi qu’il doit abandonner sa vie passée et combattre « ses croyances et instincts »…et « sa foi entière en ses volontés naturelles «.Etait- ce un conseil de Zola a Cézanne ?
Cézanne choisit un passage particulier dans la fin de ce conte qu’il détourne. Ce choix et sa transformation sont conformes à ses tendances instinctives, plutôt portées à une fascination pour le tragique, qui, dans le temps, en s’atténuant, restera cependant imprimée en lui. Ne l’entendait –on pas à la fin de sa vie maugréer : » c’est effrayant la vie. »
Tout autre aurait illustré ce conte avec une des deux, ou les deux versions de la vie des héros, plus caractéristiques, comme par exemple leur épopée batailleuse ou celle du chapitre « moralité »ou ils trouvent le pays « heureux »l’un avec l’amour, l’autre cultivant son jardin.
Le sujet, base de notre tableau, est bien là, dans cet instant dramatique. Il illustre en quelques sortes et aux yeux de Cézanne la chute de ces contes, dont le peintre, comme d’habitude, s’inspire, mais transforme le sujet qui ne procède à l’arrivée que de lui-même. Il prend une trame, brode , déplace et précise la signification du tableau à l’aide de sa sensibilité exacerbée qui finit par prendre tout l’espace … Sa main suit consciemment un sujet de son inconscient, motivation très contemporaine et prémonitoire . Un an plus tard, en 1870, il se livre à un détournement similaire avec « Le déjeuner sur l’herbe » et sa première « Moderne Olympia » en référence aux deux tableaux de Manet qui avaient fait scandale en 1863 et 1865.
Avec la mise en valeur des sources des inspirations de Cézanne on est frappé par la lenteur de la maturation de l’artiste. Il lui faut du temps pour murir sa reflexion ; ici quatre ou cinq ans . Cézanne, en cela, et dès le début, se révèle a l’opposé de son ami Emile Zola qui lui fut si rapide. Son évolution fut lente, comme son geste de peinture ; les quelques contemporains qui l’approchèrent dans son temps de peinture en furent les témoins, en particulier les portraiturés comme les Gasquet et Vollard. Passée la première mise en place, rapide, chaque touche de peinture était posée après une intense observation du sujet, quitte à ce qu’elle se matérialise sur la toile le lendemain, ou hors de la présence du sujet, jouant de sa prodigieuse mémoire.
Qu’est-ce que Cézanne, sous le couvert de l’illustration du conte, cherche à exprimer ? La, chaque détail prend son importance, d’ où la nécessité d’en faire :
La description analytique
Dans le triangle en haut à gauche, ouvert par l’écartement de lourds rideaux rouges, est disposée sur l’étagère d’une niche une nature morte constituée de quelques livres fermés et d’une tête de mort, allégorie qui accompagne le peintre depuis ses tout débuts. Vanité traditionnelle et romantique.
Au milieu, en travers de la composition git un homme, presque nu, en contraste avec les autres personnages habillés, peint assez réalistement. Sa tête rappelle étrangement le portrait que fit Cézanne de Zola au début des années 606, récemment acheté par le musée Granet d’ Aix en Provence . L’homme a un corps maigre et musculeux aux articulations noueuses comme Mary Cassatt rencontrant le peintre le décrivit. Déplié il serait un géant par rapport aux autres personnages représentés. Son bras droit, écarté, se termine par un poing fermé. C’est le poing inutile du Sidoine du conte. Le bras gauche, son coude excessivement saillant, est rejeté en arrière dans un mouvement désespéré, terrassé par le geste et l’attitude de l’homme au turban. Sous son poing fermé on voit une table ou sont disposés une chandelle allumée, symbole de vie et un livre ouvert, en contraste avec ceux dans la niche, fermés : peut- être le livre des contes ; puis , juste en dessous un chien , tourné vers l’ homme du centre ; le peintre lui choisit une position mi- joueuse et lui met dans la gueule un lapin. Il représente donc surement la normalité revenue a la fin du conte, car pour vivre les animaux doivent se dévorer . Le personnage central, mi-Zola mi-Cézanne est bien le Sidoine du conte7.

Au milieu en bas on voit un groupe constitué d’une femme agenouillée de dos,8 tournée vers l’homme couché. Son chignon est à moitié fait ou à moitié défait . Le chignon au 19e était symbolique de la femme établie. Les femmes en cheveux dénoués était souvent des femmes du peuple ou de mauvaise vie .
Celle ici représentée n’est donc pas encore une vraie bourgeoise, ou les deux a la fois .comme Alexandrine Meley que Zola désignait comme sa femme depuis 1865 bien qu’ ils ne soient pas mariés . Elle aurait connu Zola en 1864. C’est l’année de la rédaction de ce dernier conte ou Cézanne la mêle volontairement . On sait peu de chose sur la rencontre de Zola et d’ Alexandrine :
Elle et Zola marquèrent la date de leur rencontre chaque année fin Décembre . Cette date n’ est probablement pas exacte , car Cézanne fit un portrait d’ elle bien avant : il est signé et daté « 64 » . Nous n’ avons aucune preuve que Cézanne ait jamais antidaté un tableau ; il appartint au Zola ,même si Alexandrine le jugeait peu ressemblant. Ils le conservèrent jusqu’a la vente posthume des tableaux de Zola. Hors on sait aussi avec certitude que Cézanne partit de Paris début Juillet 1864 pour n’ y revenir que début 1865, probablement Février ou Mars .Le tableau n’ est pas dédicacé ; la date de 64 est donc sa date de peinture, premier semestre 1864 .Chez Cézanne les datations sont encore plus rares que les signatures et ne sont pas apposées au hasard.

On peut se poser la question avec J. Rewald : qui fut- elle pour Cézanne, sa maitresse avant d’ être celle de Zola ? La femme entre deux hommes des premiers romans de Zola ? Pour l’instant rien ne le prouve . par contre elle put n’ être qu’une aventure passagère pour Cézanne, ou un simple modèle libre, comme le XIXe en a tant compté dans les ateliers de peinture ,ou, simplement rencontrée au hasard. Simple connaissance, conquête de passage, ou vrai rivalité, elle semble bien être présente dans ce tableau peint en 1868 ou 69, assimilée a la reine Primevère ;.et elle partagea bien la vie de l’ auteur du conte .On peut aussi penser que cette liaison durable vint troubler au moins pour Cézanne leur amitié.

Elle tient dans son bras droit, plus long que nature, un nain, plutôt qu’un enfant, tourné vers le spectateur. Il cache son regard de la main gauche et semble vouloir ignorer ce qui se passe derrière lui. C’ est le petit Médéric du conte ;
Justement, en hauteur derrière, gesticule un homme enturbanné un crucifix à la main. Celui ci n’est pas n’importe quel individu : c’est manifestement le dompteur de chevaux que l’on voit en bas et de dos dans un autre tableau de Delacroix « Chevaux se battant dans l’écurie »9.

Le personnage, dominé par les animaux insensibles à sa simple badine, est ici utilisé à contrario : de face et en haut de la scène qu’il domine; son christ en croix à la main remplace la badine. Nous sommes ici en présence de ce que Henry Loyrette appelait une copie créative. Cézanne lui garde son costume et son turban pour affirmer que c’est bien lui le dompteur des forces du mal que les chevaux représentaient symboliquement dans l’œuvre de Delacroix.
Sa tête est tournée vers le porteur de torche à sa gauche. Il semble vouloir éviter que le feu ne soit mis au bûcher du roi, comme dans la légende de Sardanapale, inutile sacrifice que défend par ailleurs la religion qu’il représente. Mais elle défend aussi les tentations charnelles adolescentes autant que les unions hors mariage. Cézanne et Zola sont donc visés pareillement.
Son bras droit et sa main sont tendus vers l’homme couché mais le coude gauche est pointé vers le pâle blondinet en costume rouge, juste au- dessus de l’homme en noir à la tête de Cézanne. Tous deux font le même geste de la main droite : ils se défendent du personnage terrassé. L’homme en noir, Cézanne, a le genou droit en terre, mais il tente de se relever appuyé sur sa jambe gauche pour s’arracher vers l’extérieur de la toile, probablement pour s’extraire de la situation violente où la scène l’enferme.
Tous les acteurs symboliques ou explicites sont là. Peu importe au peintre que le sujet soit déformé, au contraire, c’est sa marque indélébile.
Ainsi, Cézanne coiffé de son double selon Zola, qui le voyait comme le pâle jeune homme de « La nuit de Décembre » de Musset, cherche à s’échapper. Le même blondinet se retrouve dans « Le déjeuner sur l’herbe » nettement séparé du peintre en bas, avec derrière lui l’homme à la pipe, image de Zola. La situation a donc évoluée dans le sens de l’éloignement quelques mois plus tard.
Mais l’agonie du Sidoine de Cézanne est aussi complétée par l’union prochaine de Primevère et de Médéric. Cette reine n’ est elle pas Alexandrine Meley future madame Zola ? La femme entre deux hommes du roman de Zola « Thérèse Raquin » (1867) ?
Le nain Médéric se voilant la face semble vouloir ignorer la scène autant que l’objurgation de la religion par l’homme en turban qui cherche à mettre bon ordre à cet épisode de vie, particulièrement violent.
On connait le rôle de certains rêves en psychologie ou l’inconscient fait remonter à la demi-conscience du rêveur en plein sommeil les épisodes dangereux pour son équilibre psychologique; désamorçant ainsi une espèce de bombe qui menace l’équilibre du rêveur. Une image résiduelle reste souvent imprimée et peut resurgir sous forme de fantasmes par exemple, comme trame de fond de cette toile.
Cézanne en 1869 est dans sa trentième année et se débat encore dans les affres de son adolescence avec Zola qui l’ont fait glisser progressivement dans une situation de dépendance amicale mais ambiguë. Zola lui, est porté pas son ambition et poussé par sa situation financière et les circonstances de sa vie dans laquelle cette femme pris une large place .Il devient une espèce de conseiller, mais qui comprend de moins en moins son ami dont le caractère se raidit. Les deux furent sensibles mais d’ une façon bien différente et de plus en plus cela les éloignent .Les conseils de Zola sur la gestion de sa carrière de peintre lui inspirèrent t ils la première crainte de Cézanne que l’ on put mettre le « grappin « sur lui ou son œuvre ?
Ainsi les deux jeunes gens, chacun a leur rythme et avec leurs moyens, se servent de leurs rêves de jeunesse comme base de leurs premières œuvres : L’ un transforme son expérience à l’aide de milliers de mots sur des centaines de pages que sont ses premiers ouvrages. L’ autre, Cézanne, n’ a lui que quelques toiles, pas bien grandes pour s’ exprimer, mais ou la motivation se concentre , se charge a outrance , au point de devenir obscure.
Ce tableau, au travers de son mode d’expression personnelle, dut probablement remplir le rôle salutaire du rêve pacificateur. Cet attachement excessif, lié à une homosexualité latente si classique chez les adolescents était inacceptable. La main mise ressentie de l’ attitude de Zola, un peu patriarcale cabre la nature difficile du peintre . La violence de la scène représentée est liée à la violence que l’auteur ressent à l’obligation vitale de s’en extraire. On y décèle l’ auteur piégé entre interdits et angoisse du réel, présent et souvenirs, volonté de s’ affirmer sans vraiment se connaitre, donc en proie a des incertitudes difficiles a contrôler.
Cézanne disait lui même à la fin de sa vie11 « on est plus ou moins maître de son modèle, mais aussi de ses moyens d’expression ». Il pérennise ainsi cette théorie.
En 1988 Sidney Geist12 voyait déjà au sujet de « L’enlèvement » une explication psychologique : le rapt de Cézanne par Zola. Conjointement et manifestement il est lui aussi rattaché aux « Contes à Ninon ». Il était donc le premier avertissement de son psychisme à Cézanne. Non pris en compte, celui ci reparut logiquement plus violemment, deux ans plus tard. Indiscutablement ces trois tableaux sont liés dans leur progression psychologique.
Sans oublier celui de 1875, le quatrième , ou l’on voit le fumeur de pipe,( Zola ), regarder en l’ air, détaché de l’ action du tableau !…
Cette libération d’avec Zola qui s’opérât, laissera place à Hortense Fiquet qui vient d’apparaitre dans la vie du peintre; et qui ne s’ y fixera pas par hasard on le voit bien.
L’action salvatrice de notre œuvre , « La fin de Sidoine » la protégeât probablement de la destruction, abandonnée dans un coin d’atelier, puisqu’elle se retrouve dans le lot des 150 toiles que le fils de l’artiste vendit à Vollard en automne 1895, parmi bien d’autres œuvres de jeunesse13.
Succession psychologique des tableaux

l’enlevement 1867

La fin de sidoine 1869

Les Déjeuners sur l’Herbe
1870 / 1873~75

Les Déjeuners sur l’Herbe
1870 / 1873~75