LES PASSERELLES
Le pinceau et la plume – Chapitre 5
La vie et l’ œuvre d’Émile Zola sont largement connues, grâce aux nombreuses études le concernant. Monsieur Henry Mitterand, son biographe, en a fait le point dans trois énormes volumes. L’ensemble, bien documenté est impressionnant.
J’ai eu l’ occasion de m’entretenir avec lui, pour retrouver quelques détails oubliés de la jeunesse de Cézanne. Il m’a souligné combien manquait une bonne biographie de Cézanne :
A juste titre, mais la nature des deux hommes était bien différente, et le déroulement de leur carrière tout autant : l’une a la lumière et l’autre dans l’ombre. Ainsi, les traces laissées par Cézanne ne permettent pas un travail équivalent. Il faut bien dire que jusqu’à sa maturité, c’ est a dire vers 1870, sa vie et son œuvre sont une suite d’ énigmes ! Voila qui déjà lui ressemble… Mais leur vie mêlée par l’ amitié, devenue une légende, nous permet quelques rapprochements.
Que nous reste t il pour mieux les cerner ?
D’abord leur correspondance; mais avec beaucoup de manques de part et d’ autre. Dans les lettres de Cézanne ce gout de l’énigme nous oblige à un périlleux décryptage. Leur connaissance mutuelle était tellement profonde que Paul ne doutait pas d’ être compris d’Émile; et nous n’ avons pas leurs références disparues avec eux ; ou en tout cas très peu. Ajoutons quelques échanges épistolaires entre quelques amis communs.
Mais nous avons aussi leurs œuvres ou ce qui nous est parvenu
Pour Zola, il nous manque une partie de ses tous premiers écrits, mais nous en avons la liste, le titre et la date entre 1858 et 1862 63. Par nature et par nécessité Zola évolue plus vite que Cézanne. De plus, il a pris des notes toute sa vie pour nourrir ses romans, et elles lui ont servi a construire les caractères de ses personnages, souvent en les mélangeant. Les réflexions qui émaillent ces notes sont précises et de ce fait précieuses, en particulier pour Cézanne, Quand il est question pour l’ « œuvre » du peintre Lantier il souligne à la fin du paragraphe concernant le portrait à faire, de qui il va s’inspirer : » et Cézanne, surtout Cézanne ». Écrit par écrit, on peut suivre l’écrivain qui ne se dérobe pas a notre vue. Méticuleux, conscient et fier de son talent très tôt, il fabrique lui même sa propre histoire.
Pour Cézanne, rien de tout cela, c’est même l’ inverse…
Mais ils étaient si proches, et avaient en commun éducation et culture que, soudés par leur amitié enfantine et adolescente, il nous reste des traces sous forme de passerelles d’ influences et d’ échanges en particulier pour cette période. Étudier l’ un pour éclairer l’ autre est nécessaire.
Pour le peintre, il nous manque a peu près un tiers de son travail pour ces dix années : C’est la période noire. Camille Pissarro, rencontré a l’ atelier Suisse en 1862 écrivit a son fils Lucien en 1895 que Cézanne avait peint au moins 300 toiles dans cette période. Le catalogue raisonné n’ en décrit que 175 numéros. Le manque de soin de l’ artiste et son désintérêt affiché pour la toile de la veille,les nombreux déménagements toute sa vie, la destruction personnelle, et les experts désarçonnés par la mobilité de son pinceau, ses sujets énigmatiques, le manque de signature, autant que la modicité du prix des œuvres en question, ont contribué a leur perte.
Aussi quand un de ces tableaux manifestement authentique apparait, c’ est a la fois l’ enthousiasme et le doute; surtout pour ceux qui se targuent de détecter les faux et les vrais au premier coup d’œil. Et c’ est pour cela que je réétudie toutes les œuvres avant et après, pour trouver leurs points communs et le déroulement du langage du peintre,qui tout obscur qu’il puisse paraitre, finit par se dévoiler dans la succession.
Zola arrive a Paris au en Février 1858. Il continue a préparer son baccalauréat. Mais quelle différence avec l’ ambiance aixoise ! Il ne la supporte qu’ en rêvant de ses futures vacances avec Paul. Après son retour, il contracte une grave maladie, fièvre et délire, qui failli l’ emporter. Les séquelles nerveuses qui s’ en suivirent le laissèrent cyclothymique toute sa vie. Il tente de cacher sa maladie a son ami, il en sort épuisé.
Il lui écrit moins, lui cache des détails aussi importants, alors Cézanne prend la mouche dans une lettre datée du 17 Janvier 1859. Dans deux jours, il va avoir vingt ans. Elle nous renseigne doublement sur sa nature et son caractère :
Cette lettre est accompagnée d’un dessin « La Mort règne en ces lieux », souligné d’un dialogue entre Le Dante et Virgile sur la gauche, désignant du doigt la scène appelée jusqu’ici » anthropophagie ».
Sur un mode allégorique, humoristique et grinçant, il adresse ses reproches a Émile. Se sentant abandonné, il évoque son dépit a l’aide d’une lecture commune : « La divine Comédie » de Dante, probablement dégustée dans la campagne aixoise et nourrissant leurs fantasmes d’adolescents.
Au chapitre de l’Enfer, et dans le cercle destiné aux traitres a la cité, le comte Ugolin, juché sur les épaules du traitre lui mange la cervelle pour le punir de l’avoir enfermé avec ses fils dans « la tour de la faim ».
Le dessin est suivi d’un dialogue humoristique entre Dante et Virgile et, chose rare pour Cézanne, de la solution de l’énigme. Cézanne ne supporte pas de rester sans nouvelles.
« Le Dante : dis moi mon cher, que grignotent t ils la ?
Virgile : C’est un crâne, parbleu.
Le Dante : Mon Dieu, c’est effroyable. Mais pourquoi rongent ils ce cerveau détestable Virgile : Ecoute et tu sauras cela.
Le père : Mangez a belles dents ce mortel inhumain
Qui nous a si longtemps fait souffrir de faim.
L’ainé : Mangeons !
Le cadet : Moi, j’ai bien faim,donne moi cette oreille!
Le troisième : A moi le nez !
Le petit fils : A moi cet oeil !
L’ainé : A moi les dents !
Le père : Hé Hé, si vous mangez d’une façon pareille
que nous restera t- il pour demain, mes enfants ! »
Cézanne s’explique :
J’ai résolu mon cher, d’épouvanter ton cœur
D’y jeter une énorme, une atroce frayeur
Par l’aspect monstrueux de cet horrible drame
Bien fait pour émouvoir la plus dure des âmes.
J’ai pensé que ton cœur sensible a ces maux la
S’écrierait : quel tableau merveilleux que voila !
J’ai pensé, qu’un grand cri d’horreur, de ta poitrine
Sortirait, en voyant ce que seul imagine
L’enfer, ou le pêcheur mort dans l’impunité,
Souffre terriblement durant l’éternité. »
Et enfin brutalement :
« Mais j’observe, mon cher, que depuis quinze jours
Notre correspondance a relâché son cours ; »
Puis il passe en revue toutes les hypothèses qui lui passe a l’esprit, pour expliquer ce silence, et termine sa missive quelques jours plus tard :
« …A quoi je répondrai que pour ne plus t’ennuyer tu dois m’écrire au plus tôt, si empêchement grave n’est pas… «
On y voit déjà le mouvement d’humeur immédiatement suivi de son repentir, que l’on retrouvera tout au long de son existence, qui frappa ses contemporains a la fin de sa vie. Ils attribueront ce trait a l’age de l’artiste, ce qui n’est pas exact.
Cette lettre est doublement intéressante : on y voit la nature de Cézanne bien définie et volontiers tyrannique,dont l’hyper sentimentalité est a peine déguisée. Pour l’exprimer il construit une énigme liée a leur seule intimité nouée dans leur divagation adolescente, courant la campagne avec La Divine Comédie de Dante dans leur gibecière, en un temps ou ils se repaissaient volontiers des horreurs de l’enfer, propres a satisfaire les imaginations des gamins dégustant les plus horribles des lectures.
Ce langage imagé et allégorique n’est ni un hasard ni le dernier. C’est en plus la seule énigme suivie de son explication.
Les autres, sous formes de vraies peintures,dont quelques unes nous sont parvenues, s’adressaient probablement aussi a Zola, qui lui, était à même de comprendre son langage. Et nous avons bien peu de moyens de pénétrer dans ce monde secret.
Tel le grand tableau » l’enlèvement » qui lui est dédicacé de 1867.
Bien d’autres furent peints dans les moments de crise :
« La pendule noire » peinte chez Zola avec des objets lui appartenant et dont la signification est encore obscure, probablement en réponse aux doutes de Zola sur son avenir de peintre.
» La toilette funéraire « étrange et morbide.
» La fin de Sidoine »
Les » déjeuners sur l’herbe »
Les « Pastorales »
Les » Tentations de St Antoine »
Et probablement quelques autres.
Puisque dés ce moment nous avons la preuve que Cézanne avait lu cette » Divine comédie », il est permis au passage de mieux titrer une petite œuvre de 1862, (ou peut être de 63), intitulée dans les catalogues et non par le peintre : Scène religieuse.
Les passerelles
C’ est l’ année ou la « Divine comédie » parait largement illustrée par Gustave Doré .Parmis ces illustrations celle représentant Dante et Béatrice devant le Paradis a quelque points communs de composition avec la peinture de Cézanne , qui déja s’ inspire et déforme son modèle pour se le réaproprier en racontant sa propre histoire . Nous avons la une de ses premieres » copie creative » . Même face de Dieu , entouré d’ un halo d’ anges, mais les trois compères qui dansent , dont un en costume moyenageux et un moine ,ont l’ air de bien se moquer de ce paradis ! Sa part personnelle , et son message ? Difficile a comprendre , mais pour autant , je n’ y vois pas une scène d’ extase religieuse comme Theodore Reff , ou alors sur un mode de plaisanterie sarcastique .
Il n’ y a donc rien d’ étonnant a retrouver cette façon de créer dans l’ oeuvre des années suivantes. C’ est même une des caractéristiques les plus marquante de l’ oeuvre de jeunesse de notre futur grand peintre.
D’ ailleurs cet art du pastiche fut largement pratiqué par les deux amis dans leurs écrits , cela faisait partie de leur formation littéraire, et pour Cezanne débordait sur la peinture . Cet exercice, tout a fait dans l’ esprit de l’ époque ,lui permet de dévelloper son originalité , et un point de vue personnel de la peinture, sans se laisser marquer par autre chose que sa nature profonde si instinctive et difficile a canaliser.Puis , en elargissant son apprentissage choisi , il élargit ses moyens d’ expression .
C’ est ce déja rebelle a toutes contraintes qui finit par débarquer a Paris , en Avril 1861 , accompagné de son père . Au mois de Mai , il visite son premier Salon , avec Zola . Il est très impressionné par Meissonnier et Gustave Doré ( déja ! ) . Après son premier échec a l’ épreuve pour l’ admission a l’ ecole des Beaux Arts , il rentre a Aix en Septembre pour remonter a Paris l’ année suivante, début Novembre 1862 .
Pour un enfant gaté , il surmonte les contraintes financières relativement bien. Son intérêt pour la peinture et l’ émulation permanente de la capitale rejète l’ argent au second plan .
Et avec l’ argent il rejète la bourgeoisie et son art de mode . Il affiche son dédain haut et fort et se singularise par une grossierté outrancière , tant dans sa tenue vestimentaire qu’ avec son accent rocailleux.Il pénètre dans le milieu artiste avec sa fréquentation de l’ atelier Suisse, ou certains sont amis avec ceux de Gleyre . Guillemet , Pissarro ….Bazille , Sisley , Monet , Que d’ inconnus fréquentent les lieux plus ou moins assiduement ! Tout le monde parle , et présente ses proches aux autres : Guillemet présente Manet a Cezanne , qui présente Zola a la bande . Bazille de son coté met en contact Cézanne et Zola avec Renoir . C ‘ est pour lui un boulversement total . La réalité de la mode en peinture lui fait prendre conscience de ses aspirations, non définies encore , mais a des lieues de ce qu’ il voit dans les milieux officiels .Il en est sur .
LES JEUDIS DE ZOLA
Les langues vont bon train et l’ on refait les theories artistiques, en particulier lors des soirées du Jeudi chez Zola qui commencent déja a cette époque ,vers la mi 63 ; malgré l’ exiguté des lieux s’ y retouvent peintres , ecrivains et amis de passage , comme Georges Pajot , Marius Roux , Louis Marguery , Baille et Antonny Valabrègue , quand ils sont a Paris . Emile n’ est pas le dernier a se mêler a ce bouillonement d’ idées et couche sur le papier les idées élaborées entre tous . Bien sur Paul est celui avec lequel les conversations sont les plus longues et de plus souvent en privé quelquefois des nuits entières , et il est difficile d’ attribuer la paternité de l’ une ou l’ autre a l’ un quelconque des protagonistes . M r Mitterand dans son ouvrage souligne a juste titre combien l’ écrivain avait besoin de se voir dans le miroir de son ami le peintre . Il ne fait pas de doutes que l’ intelligence que Cézanne devellope avec ses contacts parisiens aide Zola a theoriser pour ses critiques d’ art , se construisant grace a ces échanges . Mettre en forme sur le papier une théorie est une affaire de manipulation des mots, mais l’ appliquer sur la toile en est une autre , longue et difficile; et Zola exige de son ami la même facilité que lui . Peut être oublie t il un peu vite que sa formation scolaire a déja devellopé en lui les qualités neccessaires a cet exercice , et que son ami n’ a pas encore une suffisante expérience du pinçeau , seulement commencée depuis son arrivée a Paris .Et le résultat, en peintures , ne pouvait qu’ être imparfait .
Il est frappant de retrouver les mêmes termes dans les articles de Zola , les lettres et les propos rapportés de Cézanne , ainsi que dans l’ abondante correspondance de Pissarro .
Arrivée a ce point , je ne referais pas l’ excellente étude de Monsieur Joachim Pissarro , dans son texte accompagnant le catalogue de l’ exposition : « Cézanne et Pissarro » , en 2006 , au Musée d’ orsay , (chapitre » toujours modernes » ).Je conseille vivement a mes lecteurs cette lecture , emaillée des plus importantes citations de Zola .
Zola théorise sur les nouveaux principes de l’ art , en se calant sur Courbet puis Manet dont le » Dejeuner sur l’ herbe » fait scandale au Salon de 1863 .La petite bande met en pratique les principes de , ce qu’ ils appelent le » 93 » de l’ art .Ils signifient par la , comme en 1793 , la destruction de tout ce qui existait pour laisser la place a une nouvelle liberté ! Rien moins que cela …. Guillemet dans une lettre a son ami Oller absent de Paris , lui décrie l’ atmosphère survoltée de leur petit cénacle :
« …nous peignons sur un volcan; le 93 de la peinture va tinter son glas funèbre: le Louvre brulera, les musées, les antiques disparaitont , et , comme l’a dit ( pierre Joseph ) Proudhon, des cendres de la vieille civilisation peut seul sortir l ‘ art nouveau . La fièvre nous brule: aujourd’hui est séparé d’ un siècle de demain. Les dieux d’ aujourd’hui ne seront pas ceux du lendemain ; Aux armes , saisissons le couteau de l’ insurection, démolissons et construisons, … Courage Frère , Serrons nos rangs , nous sommes trop peu pour ne pas faire cause commune , on nous fout a la porte ; nous leur foutrons la porte au nez. Les classiques trébuchent. Nieuwerkerke chancelle sur son fondement. Montons a l’ assaut et terrassons l’ infâme …Ne couper dans personne qu’ en soi, construire , peindre en pleine pate, les taches justes et danser sur le ventre des bourgeois terrifiés…travaille ma vieille , de la pâte des taches justes , nous finirons par imposer notre manière de voir . Pissarro te dit mille choses aimables , et nous te souhaitons tous avec Cézanne de te voir bientot . »
Evidemment nous sommes loin du style zolien , mais qu’ elle fougue !!!
C’ est dans cette ambiance que Cézanne , qui n’ etait pas le dernier a démolir, a le culot d’ écrire au fameux Neieuwerkerke , surintendant des Beaux Arts , le19 Avril 1866 :
» Monsieur,
J’ ai eu dernièrement l’ honneur de vous écrire au sujet de deux toiles que le jury vient de me refuser.
Puisque vous ne m’ avez pas répondu, je crois devoir insister sur les motifs qui m’ ont fait m’ adresser a vous .D’ailleurs, comme vous avez certainement recu ma lettre, je n’ ai pas besoin de répèter ici les arguments quej’ ai pensé devoir vous soumettre. »
Dommage que la lettre soit aujourd’hui perdue ! Et il continue :
« Je me contente de vous dire de nouveau que je ne puis accepter le jugement illégitime de confrères auxquels je n’ ai pas donné moi même mission de m’ apprécier.
Je vous écris donc pour appuyer sur ma demande. Je désire en appeller au public et être exposé quand même. Mon voeu ne me parait avoir rien d’ exorbitant, et , si vous interrogiez tous les peintres qui se trouvent dans ma position, ils vous répondraient tous qu’ ils renient le Jury et qu’ ils veulent participer d’ une façon ou d’ une autre a une exposition qui doit être forcémment ouverte a tout travailleur sérieux .
Que le Salon des Refusés soit donc rétabli .Dussè je m’ y retrouver seul .Je souhaite ardemment que la foule sache au moins que je ne tiens pas plus a être confondu avec ces messieurs du Jury qu’ ils ne paraissent désirer être confondus avec moi .
Je compte , Monsieur , que vous voudrez bien ne pas garder le silence .Il me semble que toutes lettre convenable mérite une réponse.
Veuillez agréer , je vous prie , l’ assurance de mes sentiments les plus distingués .
Paul Cézanne «
1866 : Pour Zola , c’ est l’ » Evènement » après » Le Petit Journal » ou » La petite curieuse » devient » Claude » .
Devenu rédacteur littéraire du journal » l’ Evennement » , il demande a être chargé du compte rendu du Salon .Depuis le scandale de l’ Olympia a l’ exposition de 1865 ,Zola se muait en critique d’ art ,poussé par un Cézanne déchainé qui clamait : » Un jour viendra ou une simple carotte fera naitre une révolution ! «
Au moment de la première lettre de Paul au surintendant des Beaux arts , et le jour de la deuxième , Emile annonce dans son journal qu’ il a un rude procès a faire au jury . Suivront une série d’ articles d’ Avril a Mai ; Ils furent acceuillis par un déluge de protestations, a tel point que le journal lui demanda de ne pas publier les suivants .Il s’ arrête au 6e, et les réunit dans une plaquette intitulée » Mon Salon » avec sa signature et non le pseudonyme de » Claude », utilisé depuis quelques mois .
Ils sont précédés d’ une lettre dédicace a Cezanne, ou il reconnait ce qu’ il doit a ses conversations seul avec lui.
Hélas, il est frappé de cécité quand l’ ami se mue en peintre . A ses yeux , il est cantonné au rang de « en devenir » . A t il vu les premières et si impressionnantes natures mortes de son ami ? La seule datée , de 1865 , » Pain et oeufs » , est evoquée par Cézanne dans une lettre a Pissarro le 15 Mars 1865 . Mais est ce bien celle qui fut refusée cette année la par le jury ? Elle n’ est pas la première de ses natures mortes, loin s’ en faut .
Il y en avait d’ autres dans son atelier certainement car Manet » les » vit chez Guillemet en Avril 66 comme le precisait Valabrègue a Marion le 6 Mai : » il les a trouvées fortement traitées . Cezanne en a une grande joie sur laquelle il n’ insiste guère selon son habitude » . Comment imaginer qu’ Emile ne les vit pas . Pourtant , il est un homme du présent , un homme de constat . Même si les oeuvres se suivent dans l’ inégalité , Emile , a l’ egard de son ami , dévellope une injuste sévérité. Nous avons trop peu de peintures datées ou datables pour en faire le point a ce moment précis . Ajoutons les nombreuses disparitions ,et l’ on constatera la difficulté a être dans la précision . Et puis est ce raisonnable de proposer au jury du Salon les plus insolites de ses productions comme il semble qu’ il le fit pour 1867, a moins de se dire que le moyen etait plutot efficace de choquer pour se faire connaitre , puisque le meilleur est refusé . Voila qui ressemble bien a notre Cézanne : nous n’ avons que les titres , les tableaux , eux ont disparus .Il s’ agit de :
« Le grog au vin », representant une femme en grande toilette presentant le breuvage a un homme nu , et le second , a l’ inverse, un homme habillé servant le coktail a une femme dénudée , intitulé » Ivresse » .
Une dixaine d’ années plus tard , il va reprendre ces titres, mais les oeuvres , ou leur sujet , étaient elles du même tonneau ; nul ne sait ….
Il y en avait d’ autres dans son atelier certainement car Manet » les » vit chez Guillemet en Avril 66 comme le precisait Valabrègue a Marion le 6 Mai : » il les a trouvées fortement traitées . Cezanne en a une grande joie sur laquelle il n’ insiste guère selon son habitude » . Comment imaginer qu’ Emile ne les vit pas . Pourtant , il est un homme du présent , un homme de constat . Même si les oeuvres se suivent dans l’ inégalité , Emile , a l’ egard de son ami , dévellope une injuste sévérité. Nous avons trop peu de peintures datées ou datables pour en faire le point a ce moment précis . Ajoutons les nombreuses disparitions ,et l’ on constatera la difficulté a être dans la précision . Et puis est ce raisonnable de proposer au jury du Salon les plus insolites de ses productions comme il semble qu’ il le fit pour 1867, a moins de se dire que le moyen etait plutot efficace de choquer pour se faire connaitre , puisque le meilleur est refusé . Voila qui ressemble bien a notre Cézanne : nous n’ avons que les titres , les tableaux , eux ont disparus .Il s’ agit de :
« Le grog au vin », representant une femme en grande toilette presentant le breuvage a un homme nu , et le second , a l’ inverse, un homme habillé servant le coktail a une femme dénudée , intitulé » Ivresse » .
Une dixaine d’ années plus tard , il va reprendre ces titres, mais les oeuvres , ou leur sujet , étaient elles du même tonneau ; nul ne sait ….
LA PENDULE NOIRE


Très probablement dans ces circonstances Cézanne conçoit un tableau pour commémorer cette ardente clameur de son ami Emile : je veux parler de » La pendule noire » . L’ oeuvre a reçue de nombreuses explications, mais aucunes ne sont a mon avis totalement satisfaisantes . La structure de Cézanne est complexe et on ne peut comprendre ces années autrement qu’ en essayant de suivre ses émotions , coller a sa vie en la reconstituant autant que possible . Valabrègue nous a livré une clef de la comprehension de Cezanne en relatant la visite de Manet et son commentaire sur les natures mortes de Paul . Le peintre » comme a son habitude » n’ exprime pas ses émotions, pas avec des mots : elles remontent a la surface et ne s’ expriment qu’ en tableaux , et a cette epoque le sujet prime . Pas d’ explication sans connaissance de l’ homme .
Qui ne s’ est pas interrogé a propos de cet incongru coquillage , sentant bien qu’ il constituait la clef de la signification . En ne voyant que le rouge turgescent de ses lèvres , on lui attribue un grossier sous entendu sexuel , en oubliant qu’ il s’ agit la d’ un coquillage de la famille des » Strombus » utilisé dans la mythologie par les Tritons pour la sonorité profonde et vigoureuse qui en sort , quand , percé en son extremité on souffle dedans . Et cette » conque » devient dans maintes représentations antiques symbole de victoire de la vérité sur l’ obscurité ! Nous y voila ! Elle passe egalement pour être l’ ancêtre de la trompette … que nos deux jouvençeaux aixois utilisaient avec quelques variantes dans l’ Harmonie municipale d’ Aix . Ils connaissent bien . Regardez bien la petite huile » Néréide et Tritons » de 1867 , ayant appartennue aussi a Zola , l’ un des Tritons souffle dans une conque ….
L’ encrier, celui de Zola , et la tasse vidée de son café se rapportent directement a l’ auteur qui passe ses nuits a écrire .L’ ordonnance très stricte, rigide , des plis du torchon rappelle celle d’ une feuille de papier a remplir ; Les propos de Zola sont représentés sous la forme des objets principaux soigneusement disposés sur le torchon dont un coin se rabat en souplesse vers les objets pour mettre en valeur leur présentation . L’ habilté du peintre y est égale a l’ habilté de l’ écrivain dans ses articles .
Le rouge du coquillage ,plus pale dans la réalité , est accentué pour insister sur la passion des propos de Zola . Ce role de trompette est d’ ailleurs souligné par la forme du vase vide , juste a coté . La pendule noire appartenant a Zola , sans aiguilles , est » hors du temps , ou de tous les temps , comme sa défense de la jeune peinture . Cela a été bien compris . Reste le citron ? doit on le comprendre comme une allusion a Manet qui l’ introduisit dans plusieurs natures mortes de l’ époque ? Les spécialistes de Manet y voit une référence a la peinture flamande et a l’ école espagnole du 17e siecle. Cézanne se serait donc plaçé dans cette succéssion; possible .
Une autre chose est frappante : eliminez ces deux couleurs, le jaune intense du citron répondant au rouge du coquillage…Il ne reste presque plus que du sombre et du blanc , comme sur une page d’ écriture ou sur une page imprimée . Cézanne parle donc bien de ces articles de Zola et cette oeuvre tout aussi claquante que les dits articles est un hommage a leur auteur . Hommage privé , une fois encore en forme d’ énigme , il est resté dans la collection de l’ écrivain , jusqu’ a son décès .
Pour cette nouvelle école ,avec un Cezanne de plus en plus rebelle , la destruction de la manière ancienne devait laisser la place a la touche épaisse , visible , appliquée separement ou en superposition , au couteau ou au pinceau .Quand a la couleur , elle suit la même logique et se décline par taches .On le voit déja nettement dans ses portraits au couteau .Sa manière sera toujours basée sur le même principe avec de nombreuses variantes de touches , au couteau ou au pinceau .
Le choix des thèmes de Paul pour les scènes de genre , est dicté par la remontée a la surface de l’ émotion . L’ expérience profonde vécue est rendue visible pour les spectateurs dans les tableaux . Une fois le peintre disparu , l’ emotion de l’ artiste est transmise par ses oeuvres . Et il n’ est pas toujours facile de laisser passer cet échange , souvent contrecarré par les idées reçues et l’ éducation du spectateur .
A son début le sujet prend souvent le pas : dans les oeuvres de cette époque , Il est dominé par ses pulsions violentes . Rien dans la succession des tableaux ne semble avoir de suite logique . Sa nature cherche l’ originalité privilègiant la rebellion, laissant remonter et s’ exprimer son » temperament » dans le sujet . Expliquant la nature bouillonnante de cette époque Cezanne concluera lui même ainsi , en 1870 , lors de la parution des desseins de Stock illustrant son nouveau refus pour le Salon :
“…. Je peins comme je vois , comme je sens ( et j’ ai des sensations très fortes ) , Eux aussi ( les autres peintres ) ils sentent et voient comme moi, mais ils n’ osent pas . Moi j’ ose, monsieur Stock , j’ ose….jai le courage de mes opinions …et rira bien qui rira le dernier . “
Ces émotions – sensations dictent a l’ artiste sujet et facture . De plus en plus habile , la touche se cherche , s’ affirme et monte en puissance tout en se diversifiant .
Zola , qui attaquait le concept de » verité » au sens photographique dans l’ art , défendait l’ idée que l’ oeuvre est un coin de création vu au travers d’ un temperament . Ce concept etait aussi déterminant pour Cézanne et pour Pissarro : » la verité n’ est entière nulle part, on s’ en compose une pour son usage particulier » … »Plus que la vérité , il importe de trouver un artiste qui se révèle dans les peintures » .
Sur les principes de base l’ accord des deux hommes est profond . La conception de Cézanne est bien la ,et ne variera pas non plus . Mais la forme et les sujets évolueront , c’ est tout .
Zola semblait donc avoir tout compris ; mais il n’ a jamais accédé a l’ étage supérieur, qui au dela des mots parfaitement assemblés , arriverait a la comprehension profonde de son ami le peintre et surtout de ses oeuvres. Car dès a présent , il fallait être peintre pour comprendre le peintre .
Alors le fossé se creuse entre eux, les passerelles si présentes encore vont s’effondrer progressivement ,a partir de ce moment paroxistique. Ce qui aurait dut les unir plus encore va les éloigner inexorablement et Paul s’ assombrit , il se cabre contre tout et contre tous . Dans cet isolement il gagne en approfondissement de lui même et apprend a se connaitre . En même temps tout ce que fait ou dit Zola , ou ce qu’ il ne fait pas , ne dit pas , s’ imprime dans sa mémoire , nous l’ avons déja vu au chapitre 4 » Le Défi de Zola « . Défi qui aboutira au » portrait de Gustave Geffroy » vingt cinq ans plus tard .
Par force Cézanne commence a avançer seul et accepte de moins en moins que l’ on regarde ses recherches , a quoi bon ! On dirait aujourd’ hui : Circulez , il n’ y a rien a voir .Mais derrière la porte close de son atelier, il se cherche avec véhémence , virant d’ un style a un autre ,comme son humeur , désolant certains , mais subjuguant d’ autres . En un mot , il déroute complètement Zola . Mais il prend du métier .
Cezanne voit bien , sent bien ses réticences , mais n’ en a cure . En amour ne pardonne t on pas tout ! Il ne desespère pas non plus de le convaincre , espèrant peut être que son admiration pour ce frère de coeur sera suivie d’ un retour . Ce n’ est pourtant pas qu’ il soit content de lui, non , il ne l’ a jamais été ; mais un peu de reconnaissance l’ aurait probablement apaisé un moment !
Alors , il suit sa voie sans écouter personne , ni voir quiconque , ou presque ; d’ ailleurs avec son caractère, qui oserait le contredire ; et il travaille en tout sens . Ce besoin de peindre est un plongeon dans l’ inconnu qui l’ attire irrémediablement. Son évolution en dents de scie est aussi une exploration de lui même . Toute recherche engendre son lot d’ incertitudes et d’ angoisses . Malgré ses fanfaronnades , il est miné de doutes qui amplifient ses tourments .
» Bruler le Louvre « , belle image !
Mais il ne brule pas le Louvre , il y va …car c’ est bien autre chose de voir les oeuvres que d’ en voir les gravures . Veronèse , Rubens , Poussin , l’ Ecole espagnole …,il y puise son énergie en essayant de comprendre comment ses predecesseurs reussirent a franchir les étapes de leur propre évolution ; son cerveau emmagasine les informations qui, ressortiront a point nommé , involontairement , après filtrage de son sens pictural . Il y retournera toute sa vie , se ressourcer .
Et Delacroix …
Delacroix , c’ est le choc .
En Aout 1863 Eugène Delacroix décède . Et comme attendu sa peinture pourtant encore décriée , sort de toutes les collections . Plusieurs expositions ont lieu, mais le point d’ orgue pour les artistes sera l’ exposition de son atelier avant sa vente publique en Fevrier 1864 .L atelier de l’ artiste comprend une grande partie de ses dessins et études préparatoires . Celle ci non destinée aux expositions, ne revêtent pas l’ aspect destiné au public.
Dans ces oeuvres , du plus petit dessin a la plus aboutie des esquisses préparant les grandes tartines déja connues et souvent accrochées dans les musées, il y a du temperament a revendre ; Cézanne se sent en osmose avec l’ auteur , et cela lui donne des ailes .Mais non , il n’ y a pas que la composition ,toute remarquable qu’ elle soit , la vigueur, le mouvement au service de l’ idée , et la couleur , le language de la couleur , quelle leçon en deux jours !
Dans les esquisses , elle est posée sans détours ,et elle accompagne le mouvement qui souligne l’ idée …sans les » passages du modelé » , du « léché » que neccessite la production des oeuvres immenses pour les Salons , d’ ailleurs souvent executées dans son atelier par d’ autres mains .
Baudelaire disait de Delacroix: “…les révolutions et les événements les plus curieux se passent sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux du cerveau .” La phrase pourrait aussi bien s’ appliquer a Cézanne . Leur affinité est bien la . Il disait également : “Pour un pareil homme, doué d’ un tel courage et d’ une telle passion, les luttes les plus intéressantes sont celles qu’ il a a soutenir contre lui même .” Cézanne qui appréciait tant Baudelaire a t il lu cette analyse particulièrement fine ? On connait seulement son admiration pour lui jusqu’a la fin de sa vie , concrètisée par la mise en mémoire de quelques un de ses poèmes les plus aimés , et récités par coeur .
ERREURS TECHNIQUES DE LA PEINTURE AU 19 e SIÈCLE : LE LOURD HÉRITAGE
Une bonne partie de ces » tartines » ont déjà commencé a » pousser au noir » . Courbet lui même exorte un ami dans une lettre conservée , a aller jusqu ‘ a Amsterdam pour voir un auto portrait peint 20 ans auparavant et qui perd sa lisibilité .
Le » Martyr de St Etienne » , de Delacroix conservé au musée d’ Amiens n’ est plus en état d’être exposé ! Grace a Dieu il a été photographié en noir et blanc avant la phase terminale .
Et « L ‘ Entrée des croisés dans Constantinople, dont l’ intensité des couleurs n’ est qu’ un vague souvenir !
Ou encore » Le Naufrage » aussi appelé » Le Radeau de la Méduse » de Géricault ,dont la lisibilité s’ est estompée si vite !
Si les marchands de couleurs n’ était pas tous scrupuleux, la technique des peintres , mêlant a la pate trop de siccatif de Harlem, a base de plomb, est en partie la cause de la disparition rapide de nombre d’ œuvres au 19 e siècle. La couleur sous l’ influence de trop d’ huile mélangée a trop de siccatif pour sécher plus vite, perd de son intensité au minimum, ou s’ assombrit .Le fait pourtant déjà connu , a continué a tenter les artistes , mais les dosages étaient difficiles a contrôler .
On sait maintenant que même Manet a été victime d’erreurs de cet ordre révélées par les restaurateurs : son « Olympia » n’ est plus tout a fait celle qui fit scandale en 1865 .
Les esquisses , elles , sont peintes avec un mélange plus riche en essences , sèchent plus vite et gardent leur intensité colorée de base , un peu comme la gouache .Cézanne dut en être fasciné .Il nous reste de cette visite avant la vente a l’ Hotel Drouot malheureusement seulement quelques croquis , mais sa facture , a suivre dans ses carnets de dessins , s’ en trouve transformée . Sa mémoire fit le reste comme je l’ ai expliqué pour » La fin de Sidoine » .
Ainsi on comprend mieux son enthousiasme du temps . Mais spécialement pour la couleur on sait qu’ il il a vu autre chose que nous aujourd’hui ! De même pour les railleries des journaux qui qualifiaient les oeuvres refusées par le jury du Salon de » peintures faites avec un pistolet chargé de couleurs « .
Ces mauvaises habitudes techniques ont pour lui aussi été catastrophiques : regardez de près le portrait d’ EMPERAIRE, plein de cloques si difficiles a dissimuler et la Maison du Pendu , frippée par les trop nombreuses couches superposées avant sèchage , La » Fin de Sidoine » assombrie par l’ utilisation de trop d’ huile de noix … et probablemennt d’ autres tout aussi sombres de ces années la . Cézanne n’ avait pas a cette époque de maitre en technique et trop de hasards le dictait . Il faudra attendre 1872 74 et la proximité apaisante de Pissarro pour lui donner des moyens plus fiables, car la peinture claire le neccessite : trop d’ huile mélangée aux couleurs claires les jaunissent très vite .

Dans les remarquables portraits au couteau du début des années 60 , ou les pulsions internes se taisent , il applique déja et devellope librement l’ idée de la peinture par taches . La palette , restreinte ,y fait exploser celles choisies .Il est dès a présent très éloigné de l’ artiste dont Zola prend la défense comme exemple des nouvelles théories de l’ art . Emporté par la cause et la qualité de l’ ecriture mise au service de l’ idée , il est vite dépassé par les compères , qui eux avancent en pratiquant .Il faut aussi reconnaitre que Manet , tout combattu qu’ il put être par l’ arrière garde des « Salons » , avait tout pour se faire accepter plus vite , ce qui ne manquat pas .La révolution de ceux que j’ appelle nos compères allait demander plus de temps et d’ opiniatreté . Du coup , si l’ amitié demeure , la communication profonde , diminue et Cezanne en souffre douloureusement . Emile le soutient uniquement comme un peintre en devenir. Son présent ne semble pas toucher l’ écrivain , malgré ses tentatives pour demontrer a Zola qu’ il pouvait bien utiliser une technique de peinture acceptable avec , par exemple , » La pendule noire » dont la composition remarquable est d’ une totale originalité, et , en même temps , se replace dans la grande tradition . Manet lui même nous l’ avons vu , , decouvrant ses natures mortes chez Guillemet , fut admiratif des qualités que Cezanne y met . Mais devait il en rester toujours aux mêmes sujets comme la plus part des peintres de seconde zone ?
Peu après , Cézanne repart dans un pic de provocation , de recherche et son lot de doutes .
Suivent , » Le meurtre » , les scènes de » genre » comme les « Grog au vin » et probablement » La femme a la puce » juste connue par la caricature de Stock après son refus pour le Salon , La » Fin de SIdoine » , le » Dejeuner sur l’ herbe » , les » Pastorales », les « Tentations de st Antoine « .dont la série est déja commencée .
L ‘ O R G I E ou L E F E S T I N

Et puis vient l ‘explosion de couleurs avec » L’ Orgie ou Le festin » ruminée depuis longtemps semble t il, comme le prouve la sombre oeuvre préparatoire redécouverte assez récemment .Cette explosion qui ouvre son oeuvre a venir est impossible a dater .Les dessins préparatoires pour les personnages sont bien anterieurs . Elle recèle probablement en elle même son histoire : on devine de nombreuses reprises ; il faudrait un épluchage systématique de chaque parcelle , comme sait le faire le laboratoire des musées de France, pour confirmer les hypothèses diverses a son sujet .Pour l’ instant restons en a la fourchette de 1867 – 1872 ; a cause de l’ invraissemblable bleu du ciel , qui donne a penser que les personnages sont emportés sur un navire , poussés malgré eux par le vent qui dégage le ciel .L ‘oeuvre préparatoire , presque la même passe des ténèbres de l’ orgie finnissante a la joie paienne de la luxure d’ une fin de banquet en plein air .La profondeur de ce bleu provencal annonce le Futur de notre peintre . Cette joie de vivre qui sourde de tous les coins de la toile luie comme un talisman .Gustave Geffroy en la découvrant chez Vollard lors de la première grande exposition de Cézanne fin 1895, la qualifia de ce quelle n’ a jamais céssé d’ être : » le point de départ capital de l’ existence artistique » de Cézanne .
Zola , de plus en plus occupé par l’ écriture , ne cherche plus a comprendre , dérouté. Tandis que Paul patiemment écoute les lectures d’ Emile et lit ses livres . La patience ne semblait pourtant pas être son fort , mais il admire Emile profondemment et cherche sa comprehension comme un enfant en quête de reconnaissance , sans resultat ; Cette non admiration de son ami si cher ne pouvait qu ‘ entrainer une auto-dépréciation du peintre ,qui explique aussi en partie les excès des sujets choisis et de son caractère . Dans la solitude ainsi crée, plongé en lui même , inconsciemment , il se détache de cette référence unique qu’ est Emile .
En d’ autres mots , il commence a grandir . Et c’ est cette progression qui explique quelques unes de ses peintures de la fin des années 60 , comme je l’ ai analysé pour » La fin de Sidoine » . Cette indépendance vis a vis de Zola, lui est indispensable a tous les niveaux , et il faut que le couple se defface, dans tous les sens du terme , pour que Cézanne se révèle a nos yeux comme l’ un de nos artistes majeurs. Sans l’ étape capitale de » La fin de Sidoine » psychologiquement et picturalement , la suite de sa carrière eut elle put s’ entr’ouvrir ? Peut être est ce pour cela que cette peinture est aussi proche de » La mort de Sardanapale » qui fut en son temps le point de départ d’ une nouvelle peinture . Phase de conscience après phase de doutes , satisfait , il la date et la signe .Elle ne sortira de son atelier que fin 1895 avec les 150 autres pour sa première exposition chez Vollard .
Chemin faisant , sa qualité , sa facilité ,nous apparait de plus en plus .Mais il ne rencontre pas comme Zola le succès aussi vite que lui .Ils sont guidés par une même noirceur moderne , mais le morbide des thèmes de romans, comme » Madeleine Ferrat » et « Thérèse Raquin » , n’ a pas le même resultat , au contraire . Le public emporté par sa plume remarquable ,est happé par le destin de ses héros abominables !
La peinture est d’ une autre essence .L ‘ horreur reussit a l’ un , pas a l’ autre . Un tableau, sorte d’ arrêt sur image , est destiné a être accroché a un mur ; un livre, avec un début et une fin , comme un film , captive et se referme .Les deux mondes diffèrent et ne peuvent emprunter les mêmes chemins . L ‘ amitié si profonde de Cézanne lui permet d’ effacer un peu cet eloignement inexorable ; Le lien principal restant sera son admiration a chaque parution d’ un roman. Car Zola ne manque jamais de lui en faire l’ envoi et Cezanne de l’ en féliciter . La différence est très frappante dans leurs courriers, ou l’ on voit Cezanne d’ une rare gentillesse a l’ egard de ses meilleurs camarades .
Vers fin 69 , début 70 , pour tenter de convaincre une fois de plus Emile, Paul projète une nouvelle oeuvre . Désormais , Emile a un secrétaire, et c’ est Paul qui le lui a recommandé .C’ est une étape dans une carrière d’ écrivain et cela se fête : avec un tableau , ou plutot , deux :

Le plus petit nous présente Zola de dos , revetu d’ un manteau rouge( le rouge de la passion de ses écrits ) face a Alexis lui faisant la lecture ; le tout avec un style synthetique qu’ on lui connait déja et qui perdurera , en continuant a s’ épurer ,j’ usqu’ a la fin de son oeuvre .
Le plus grand , non terminé il est vrai , est aux antipodes du précedent ; dans un style plus classique ,mais avec une composition plongeante trés osée, les personnages sont inversés : Alexis est de profil, devant, et Zola est assis en contrebas sur un matelas au sol . Habillé comme un bourgeois , il a son air sombre des mauvais jours . Cette derniere peinture est si différente des autres oeuvres que , lorsqu’ elle fut retrouvée dans le grenier de Zola , bien après sa mort et sa vente posthume ,dans les années 20 , pas un expert ne crut y voir le pinçeau de Cézanne ! Dix années furent neccessaires pour son acceptation ! A l’ exposition Cézanne a Paris , ils étaient accrochés l’ un a coté de l’ autre pour la première fois .Quel brio dans la demonstration inutile du peintre : Zola préfèrera a tout jamais son propre portrait par Manet .
Desormais absorbé par l’ application de sa théorie naturaliste dans ses propres romans avec la suite des Rougon – Macquart , Zola en oublie l’ ami peintre qui contredie autant le fatalisme de l’ hérédité qu’ il y devellope : Toute la suite de la vie de cet individu singulier qu’était Cézanne en est la contradiction vivante ! Les germes de » la brouille entre Cézanne et Zola » a la suite de la parution de » l’ Oeuvre » sont déja présents ; » brouille qui , finalement , fut une » rupture » matérialisée en douceur par la lettre de Cézanne datée du 4 avril 1886 : plus aucunes lettres ne seront échangées a partir de cette date .
La démonstration que Zola veut rendre scientifique dans l’ histoire de cette famille l’ entraîne a nier ce que l’ ami devenu peintre est dans la réalité . Mais il y nie aussi la réalité des autres jeunes peintres que sont les futurs impressionnistes avec qui il est ami ; il s’ attachera seulement au navrant fait divers de cet obscur artiste refusé par le Jury , Jules Holtzapfell , qui se suicide de desespoir en Avril 1866 , pour avoir été refusé par le Jury , malgré son acceptation pendant 10 ans auparavant. Monet , Pissarro , Guillemet, et les autres furent tous choqués par les propos de l’ Oeuvre, on le comprend car ils commençaient juste a récolter le fruit fragile de quinze ans de lutte.
Ajoutons que la femme de Zola n’ aimait pas plus la peinture de Cézanne que son illustre mari. Elle eut certainement sa part dans la position de l’ écrivain s’ embourgeoisant.
C’ est elle même qui disait que les Cézanne étaient enfermés par Zola dans une armoire , pour que ceux ci ne nuisent pas au peintre aux yeux des visiteurs de son mari !
Il s’ agit entre autres de :
- Tête de Madame Zola 1864 R . 75
- Le bac a Bonnières été 1866 R .96
- Sucrier , poires et tasse bleue vers 1865 R . 93
- Le poêle d’ atelier vers 1864 65 R . 90
- Auto portrait vers 1866 R .116
- Néréide et Tritons 1867 R 122
- L’ Enlèvement 1867 R . 121
- La pendule noire vers 1866 67 R . 136
- les deux : Alexis lisant a E . Zola 1869 R. 150 et R . 151
peints pour lui , et pour d’ autres offerts ou choisis par Zola lui même , l’ histoire ne le dit pas . Avec la liste des tableaux de la vente après décès de Zola , une chose est certaine , aucune oeuvre de la période majeure de Paul n’ appartint a Emile signe de son aveuglement et de la prise de conscience que Cézanne en a eu .
Mais ce geste d’ incompréhension sauva involontairement , probablement , quelques unes de ces oeuvres de la destuction de l’ auteur et du mépris de cette période par le public .
1862 – 1872 , dix ans , ce n’ est finalement pas si long pour la formation d’ un artiste peintre. Ceux qui connaissent un peu la vie des peintres ne me contredieront pas . Ce qui interpelle , c’ est l’ epanouissement d’ un coup ou presque de son pinçeau . Même si on lui connait quelques beaux paysages et de saisissants portaits et natures mortes entre 60 et 70 , cette révélation de la nature , de la lumière et du soleil relègue encore les oeuvres dites de jeunesse au second plan . Difficiles a comprendre de prime abord ,esthètiquement très différentes les unes des autres , le grand public , dans le sillage de Zola ,n ‘y accorde pas l’ interêt qu ‘ elles méritent . Et pourtant c ‘ est bien le grand Cézanne qui est derrière ce pinceau , en construction certes , mais c’ est lui qui s’ elargit et s’ approfondie sujet après sujet , tableau après tableau et dompte progressivement ses émotions trop fortes et le touché de son pinceau . Il finira grâce a cette diversité par mieux se comprendre lui même et trouvera dans ce maquis d ‘ inspirations ses limites et sa voie royale , celle qui est devenue unniverselle .
J’ espère que ces quelques lignes, cherchant l’ homme si touchant et si riche caché derrière son pinceau , aideront mes lecteurs a elargir leur appreciation d’ un de nos peintres les plus importants .
MERCI ET A BIENTOT …..
A ceux qui se posent des questions sur cette période : n’ hésitez pas a me poser vos questions par mail ou avec les commentaires , j’ y répondrais dans la mesure de mes moyens .